nouvelle
SPEED: une nouvelle de Catherine May
Du haut de l’escalier qui débouche sur la grand-rue, j’avise le bus orange, immobile. Il n’y a personne à l’arrêt, en dépit de l’heure de pointe. Il n’y a qu’une explication : les passagers sont déjà montés et le trolley est sur le point de redémarrer.
Je dévale les marches et m’élance à travers la route, coupant de biais sans respecter le passage piétons, ni son feu, pourtant d’un rouge soutenu. Une voiture pile, une bordée de gros mots s’envole.
Le clignotant côté route s’enclenche. Je passe devant le bus en faisant des grands gestes. Sitôt sur le trottoir, je me précipite sur le bouton à côté de la porte avant. À cet instant précis, je me sens comme Annie : je suis certaine que la porte va s’ouvrir et que le conducteur me gratifiera d’un bonjour amusé tandis que, tout sourire, je me faufilerai à côté de sa cabine pour aller m’asseoir.
Mais au lieu de ça, l’homme derrière le volant ne me jette pas un regard et met son véhicule en mouvement comme si je n’existais pas. Je tape une dernière fois avec fureur sur le bouton. Peine perdue. Je me retrouve seule, hors de souffle, sur le trottoir désert.
Je regarde ma montre : 7h37. Misère ! Et l’examen qui commence à 8h15… je ne serai jamais à temps !
Je fais des allers et retours nerveux le long de l’abri, adossé à un grand pré où des chevaux broutent nonchalamment. Très loin d’une mégalopole américaine, soupiré-je, en me remémorant la ville tentaculaire du film. Des gens arrivent au compte-goutte. Si au moins il y en avait un, parmi eux, que je puisse assimiler de près ou de loin à Jack Traven… Mais on est sur la ligne du 9, à Prilly, banlieue maussade de Lausanne. Pas à Los Angeles, ville du rêve hollywoodien.
Enfin, je vois au loin un nouveau bus qui se met en branle. À l’allure d’un tracteur, il amorce son virage pour quitter le terminus et entame la remontée du faux plat jusqu’à mon arrêt. Une certitude : à cette vitesse, aucun risque qu’il amorce une quelconque bombe…
Il lui faut un temps infini pour arriver à notre hauteur. Je me précipite à l’intérieur, comme si cela pouvait permettre d’accélérer l’allure. À Montétan, ce que je redoute le plus arrive, bien sûr : à peine sommes-nous à l’arrêt que le feu du train s’allume. Le temps que la Brouette daigne traverser la place, nous voilà coincés pour de longues minutes. J’ai envie de hurler !
Je pousse la porte de la classe au bord de l’apoplexie. Il est 8h21. L’examinateur tourne un visage courroucé vers moi.
- C’est trop tard, Mademoiselle. 8h15, c’est 8h15, chuchote-t-il en m’enjoignant d’aller chez la directrice.
J’entre dans le bureau de cette dernière la boule au ventre. Elle m’explique que le règlement est strict, hélas : une arrivée tardive est sanctionnée comme une absence. Par la note un.
- Mais, Madame, s’il vous plaît, laissez-moi passer l’examen. Ce n’est pas de ma faute ! Il y avait une bombe dans le bus, on a tous été évacués !
- Bien essayé, Mademoiselle. Mais je vous ai vue au cinéma, hier soir, avec vos amies, me dit-elle, goguenarde. J’étais à la même séance que vous…
Archéologue de métier, Catherine May est auteure de polars par passion. À ce jour, elle en a publié trois pour adultes, aux éditions Xenia et Plaisir de Lire, et un pour enfant, paru dans la collection Frissons suisses des éditions Auzou.
Elle a passé toute sa jeunesse à Prilly et passé un nombre d’heures incalculable dans la ligne 9 des t-l, à regarder défiler la ville au fil des saisons.